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'Hérissoneries'
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18 août 2012

La femme fardée, Françoise Sagan TOME 1

« Quelle importance pourrions-nous attacher aux choses de ce monde ? L’amitié ? Elle disparaît quand celui qui est aimé tombe dans le malheur, ou quand celui qui aime devient puissant. L’amour ? Il est trompé, fugitif ou coupable. La renommée ? Vous la partagez avec la médiocrité ou le crime. La fortune ? Pourrait-on compter comme un bien cette frivolité ? Restent ces jours, dits heureux, qui coulent ignorés dans l’obscurité des soins domestiques, et qui ne laissent à l’homme ni l’envie de perdre ni de recommencer la vie. »

Issu de Vie de Rancé, texte de Chateaubriand, exergue

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"Parmi les passagers du Narcissus, Olga Lamouroux, protégée du cinéaste Simon Béjart ; la riche Edma Bautet-Lebrêche et son ennuyeux mari ; Julien Peyrat, commissaire-priseur séduisant ; Éric Lethuillier, directeur de rédaction, et sa timide épouse Clarisse, qui tente en vain de se cacher derrière un maquillage outrancier. Elle est « la femme fardée » qui intrigue autant qu'elle émeut. Alors qu'Éric s'affiche au bras d'Olga, Clarisse s’éprend de Julien. La tension monte et les poses mondaines, insuffisantes à dissimuler les sentiments abjects, deviennent aussi tristes que burlesques."

Les personnages sont vraiment délicieux et diversifiés, chacun travaillé au pinceau fin, leurs traits étant si bien dessinés, subtiles, à peine esquissés par les mots de l'auteur parfois; par les répliques et les intonations, les gestes et les attitudes, on devine tout et on se délecte de tout savoir. Cette espèce de huit-clos raye le vernis lisse et tranquille de certains, comme il efface les fards grotesques de la "femme-clown".

Olga Lamouroux est tellement superficielle et pédante qu'elle en exaspère même Éric Lethuillier, pourtant tout aussi pédant. La pauvre chérie, persuadée d'être l'attraction de la croisière par le droit que lui confère sa jeunesse, entretient sa vanité à l'extrême et se pavane devant les passagers, lucides et moqueurs

"Olga n'avait aucun recul sur elle-même; elle n'avait d'elle-même qu'une vision stylisée et fausse, mais c'était une version triomphante qu'elle était arrivée à se construire avec un certain courage contre toutes les preuves du contraire que lui assenait la vie."

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Quelques fois, l'on a droit à ses monologues préparant ses futures interventions une fois revenue sur la terre ferme, inondée, elle le pense, par toute une foule pressante de questions, et s'imaginant que tout ne tourne qu'autour d'elle. Alors, cédant à ce public si charmant, adorant être adorée, elle se prêtera à ce petit jeu, et agence déjà les mots qui sortiront de sa bouche maquillée, de son corps svelte et bronzé élégamment vêtu de grandes marques, accompagnant son discours de gestes larges et gracieux; se justifiant inutilement devant un public que l'on imagine inerte et nullement intéressé, de répliques ou de sentiments tellement intimes qu'ils ne reçoivent dans cette explication qu'une fadeur supplémentaire, éteints par les mots qui ne peuvent leur rendre justice. Si Olga est la plus pratiquante de cette religion, Edma s'y exerce de temps en temps. 
Certains personnages, nouveaux riches comme Simon Béjard le producteur, ou en dehors de cette sphère de pouvoir et plus spectateur qu'acteur comme Julien Peyrat le commissaire priseur, sont plus naturels et tendent même parfois, inconsciemment pour l'un, mais pas pour l'autre, à démasquer ces faux semblants grotesques de ces gens manières et emprunt d'une suffisance grotesque. Au centre de ce groupe, Edma Bautet-Lebrêche est pourtant un personnage agréable, car sagace, franche, et lucide. Certes au début, véritable héroïne du roman, se montre t elle orgueilleuse et vaniteuse, mais son caractère s'étoffe, et, sarcastique, pointue, fine mouche, cette comédienne de talent nous offre des scènes tout à fait hilarantes et pleines de fraîcheur. Traînant un mari fade, insipide, tout le contraire de sa femme vive et piaffante, elle ne ménage personne, dans un tourbillon de fastes et d'élégance qu'elle entretient avec art. 

"Encore émerveillée d'avoir épousé une immense fortune (ambition de toute sa jeunesse), elle aimait de temps en temps réaffirmer aux autres comme à elle-même sa propriété et ses droits sur son époux, sur ce petit homme taciturne qui n'était qu'à elle seule, et à qui seul étaient tout ce sucre, toutes ces usines, tout cet argent. Cela en le manipulant et en le tripotant d'un air écœuré comme l'eût fait toute petite fille d'un poupon chauve. Armand Bautet-Lebrêche que la vivacité et la voix perçante de sa femme avaient très rapidement réduit à l'impuissance, attribuait à l'instinct -par lui frustré- de la maternité le comportement frénétique qui agitait parfois l'altière Edma ; et il n'osait pas trop se débattre. Dieu merci, au fil des ans, elle oubliait son existence de plus en plus souvent, mais les instants où elle en reprenait conscience en étaient d'autant plus démonstratifs. C'était peut-être à ce désir de se faire oublier par sa femme qu'Armand Bautet-Lebrêche devait de l'être si aisément par n'importe qui." 

"(...) elle arriva dans un fourreau de surah banane que dérangeait délicieusement un foulard bleu marine lové à son cou maigre, et elle jeta sur les deux ponts, la cheminée, la passerelle, la foule et les chaises de rotin son petit coup d'oeil "pénétrant" célèbre dans son petit milieu -coup d'oreille qui était celui du propriétaire, mais d'un propriétaire sarcastique. Comme mystérieusement alertés par ce qu'elle appelait elle-même "son aura" (car Edma en avait vraiment acquis une à force de désirer vraiment sonner l'alerte par sa seule présence), quelques visages se tournèrent vers elle, "gracieuse et élancée silhouette, si élégamment vêtue...et si libérée de tout âge dans ce contre-jour vaporeux", se décrivit-elle mentalement. Et souriant à son bon peuple enthousiaste, la bonne reine Edma Bautet-Lebrêche descendit les marches du deck." 

Simon, le producteur qui accompagne la charmante garce Olga, amoureux transi d'abord, mais assez intelligent pour le cacher, souffre de cette femme espiègle et fausse. C'est que cette petite peste est si éprise d'elle même et si suffisante que aucun être humain digne de ce qualificatif ne pourrait la supporter, encore moins prêter une oreille attentive à toutes ses jérémiades. Perpétuellement en représentation, c'est pourtant la seule qui horripile franchement. Car chacun a sa manière est attendrissant. Chacun excepté Éric Lethuillier. Suffisant lui aussi, mais tellement imbu de sa personne qu'il lui est parfaitement impossible de s'intéresser à quiconque d'autre, le mépris transpire de chacun de ses gestes, chacune de ses paroles, chacun de ses regards. Exécrable avec sa pauvre femme Clarisse, la femme fardée, personnage central de ce roman, le lecteur à bien souvent envie de le gifler. Mais Éric sent bien que sa femme lui échappe, psychologiquement d'abord, et c'est une victoire de taille puisqu'un véritable carcan enserrait la pauvre femme, une torture lancinante, étouffante, qui asphyxiait doucement Clarisse; physiquement ensuite, et il s'agit aussi d'une victoire de taille, car la jeune femme ose enfin son propre visage et donc sa propre personne s'épanouir au regard extérieur. La honte est donc vaincue, la paix intérieure semble enfin trouvée, d'abord par la musique, puis exclusivement grâce à Julien Peyrat, un personnage auquel on s'attache beaucoup. On pourrait même se laisser à dire que, dans les différentes strates que constituent les personnages, il occupe la plus importante, aux côtés d'Edma. En effet ce sont principalement eux qui font bouger le récit, eux qui semblent les lus clairvoyant, comme s'ils étaient maîtres des vagues guidant le bateau de croisière. 

"Comme chaque fois qu'il se trouvait assumer un rôle d'affreux Jojo, Julien se sentit gai. Quelque chose en lui était si profondément débonnaire que tous ces rôles cyniques qu'il finissait par tenir effectivement ne lui semblaient jamais réels. Ils faisaient partie d'une grande fiction, une série de nouvelles écrites par un humoriste anglo-saxon, et dont le titre était La vie et les Aventures de Julien Peyrat."

Simon est plus en retrait quoiqu'essentiel, Clarisse plus passive, laisse planer son image dans tous les esprits, surtout dans celui de Julien, fasciné. Une autre strate se constitue des deux virtuoses, la Doriacci et le maestro, Kreuze. Tous les deux, aux antipodes l'un de l'autre, se rejoignent cependant dans leur originalité. La première étant plus complexe que le second, plat, insipide, caricatural, bref profondément plouc. Heureusement pour lui, son talent de virtuose occulte une partie de ce désastreux caractère (et ce n'est pas donné à tout le monde, mais certains s'arrangent très bien de leur platitude en développant une personnalité narcissique au possible). Enfin, assez éloignés de ce tableau vivant, nous avons le capitaine Éllédocq, faisant quelques apparitions toujours humoristique à ses dépends, et Mr Bautet-Lebrêche, de qui l'on a un peu pitié ^^. La distance qu'il semble instaurer est plus due aux autres qu'à lui même, ses idées simplicité et son amour des castes le coupant du monde réel.

"Et encore, l'intrusion d'Éric dans tous ces domaines paraissait-elle peu grave à l'Empereur du Sucre : il ne pouvait s'intéresser ni à un panorama, ni à une musique, ni à un parfum, ni à l'atmosphère, puisque tout cela était inachetable. Armand Bautet-Lebrêche ne pouvait estimer, au sens moral, que ce qu'il pouvait estimer au sens matériel. L'estime chez lui ne venait qu'après l'estimation."

Enfin Charley, n'appartenant à aucune strate spécifique, allant de l'une à l'autre de son pas bondissant et dansant de gay très satisfait de son état, frais et dynamique, est toujours la pour appuyer les propos, et offrir son aide enjouée, en tant que second de ce navire. Doit-on maintenant évoquer le chie de Kreuze, une vilaine bête si involontairement sarcastique et à l'image de son maître, ou même celui de la Doriacci, ici plus métaphorique, en la personne d'Andreas le gigolo, l'ombre de cette diva perspicace et délicieuse ? Ou va-t-on vous laisser découvrir tout ce beau monde en qui l'on passe de si charmants moments ? Je pense pour la deuxième alternative, et ne saurai trop vous conseiller ce merveilleux, majestueux, brillant, et piquant roman

La PREMIERE partie de La Femme Fardée m'a donc enchantée, et même si son originalité et sa fraîcheur sont indéniables, je n'ai pu m'empêcher de remarquer quelques ressemblances avec certains auteurs. La description des mains de Clarisse notamment m'a immédiatement fait pensé à Vingt-quatre heures de la vie d'une femme de Zweig ; quel magnifique passage ! J'en ai relevé quelques uns, mais je vus laisse les découvrir. Entre autres, je me souviens particulièrement de toutes les descriptions de la mer, de la musique, de la première vraie rencontre entre les deux personnages principaux. Que de passages poignants... La relation Clarisse Julien, parfois décrite d'un point de vue externe (je pense au, endroit ou les descriptions sont faites entre parenthèses, rapportées, même si de la subjectivité filtre), m'a rappelé Moderato Cantabile de Duras...cette soif  de l'autre, cette femme alcoolique, en proie à une ivresse toute symbolique ne va pas sans rejoindre Anne Desbaresdes. Certaines attitudes, et les paysages, ont fait ressurgir chez moi les belles phrases calmes et voluptueuses de Virginia Woolf, dans Les Vagues (je n'ai lu que le premier chapitre, pour l'instant) et Vers le Phare...cette même tranquillité couverte, cette nature reflet des émotions humaines...ou l'inverse ! Cette critique acerbe de la société à réunie dans mon esprit Julien Peyrat et René, de L'élégance du hérisson (Barbery), tout deux observateurs hors paires, Julien dans une moindre mesure cependant. Enfin le piquants des répliques semble parfois emprunté à Jane Austen, la sagacité de certains personnages me ramenant dans Northanger Abbey...il va sans dire que ces rapprochements sont tout à fait subjectifs, et paraîtront sûrement totalement dénués de sens à quelques uns !

Extrait d'une interview de Françoise Sagan :

A cet égard, certains de vos personnages vous ont-ils particulièrement déplu?

J'ai créé des personnages déplaisants dans La femme fardée; et puis, au fur et à mesure que le roman avançait, ils me sont devenus sympathiques, plus ou moins touchants, car j'étais assez indulgente avec eux. Je suis ainsi partie avec sept personnages antipathiques; à la fin, il n'y en avait plus que deux !

Comment intervient votre expérience personnelle dans votre œuvre ?

Comment, je ne sais pas, mais elle intervient forcément. Je crois que toute littérature est une tentative de traduire son expérience personnelle, en l'arrondissant, en la moralisant et en la dessinant mieux. Dans la vie, tout est un petit peu confus, décousu. Toute œuvre littéraire est une manière de donner un sens à tout cela. Ecrire, c'est formuler la vie, c'est imaginer ce que l'on savait déjà. 

!!!! Merci à la vieille édition du Livre de Poche d'avoir eu l'excellente idée de diviser ce roman en 2 tomes. Vraiment géniale l'idée. Suffit d'être au courant après, ça éviterait de croire à une fin décevante et ainsi de gâcher toute une lecture. Quand je pense que j'ai failli passer à côté des 300p suivantes et que j'ai du payer 7€60 en plus pour pouvoir les lire, ça me hérisse. Evidemment je ne peux m'en prendre qu'à moi et à ma stupidité qui se traduit par l'incapacité totale de voir le grand 1 noir sur la tranche, la couverture et la page de garde du-dit roman. Je me hérisse donc contre moi-même. Si j'étais un hérisson, je me piquerais volontairement de rage. !!!!!

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Commentaires
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@ Nina (Sharon) : Ah mince, moi qui l'ai déjà mis dans mes coups de coeur, tellement il est agréable à lire !! Il faut que je cristallise ce sentiment, je ne veux pas être déçue d'une si belle lecture :(
S
bâclée, voulais-je écrire.
S
Je l'ai lu (en entier) et j'ai détesté la fin que j'ai trouvé blaclée, alors que tout le reste était si bon.
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@ Milly : :mrgreen: mon estime une fois perdue l'est à jamais (dixit Darcy) ;)
M
C'est tout à fait clair! :D
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