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'Hérissoneries'
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7 avril 2012

Nous étions les Mulvaney, Joyce Carol Oates

imgres700 pages d'une tragédie familiale que nous livre Joyce Carol Oates, dans un roman bouleversant et vibrant d'intensité. La famille, les relations entre les différents membres est l'objet d'une étude minutieuse, particulièrement en début de roman ; étude qui ensuite intègre de nouveaux éléments, observe l'impact de l'extérieur sur des liens qui semblent pourtant forts et immuables. Comment un drame peut bouleverser une famille qui semble parfaite, briser des vies en apparence tracées vers la félicité. Le rêve américain : une famille prospère, un cadre enchanteur ; des parents aimants et confidents envers des enfants pleins de vie, enjoués, débonnaires. Michael et Corinne Mulvaney. Mike Junior, Patrick, Marianne et Judd. High Point Farm, la maison lavande entourée de tous ses animaux à qui la famille prête presque des caractères humains. 

Car quels mots peuvent résumer une vie entière, un bonheur aussi brouillon et foisonnant se terminant par une souffrance aussi profonde et prolongée ?

Mais dans ce récit alterné (Judd, relayé par un narrateur omniscient puis l'auteur adoptant un point de vue interne), le lecteur apprend à cerner les différentes personnalités des Mulvaney. Cependant, une ombre au tableau : un événement caché, que le lecteur perçoit aussitôt comme une fumée malsaine qui étouffe peu à peu la famille et les dissocie de plus en plus. Presque comme un personnage supplémentaire qui décolle les gentils personnages guillerets du mythe américain de leur belle trame colorée pour les lâcher sans repères dans une infinité malheureuse et vide. 
St Valentin 1976. Un bal. Une jeune fille innocente, Marianne Mulvaney, animée des meilleurs intension, brisera en une nuit son destin mais aussi celui de toute sa famille, les projetant dans une spirale infernale, alimentée en continue par le regard trouble des autres. Cet événement devient tabou à l'intérieur même de la famille ; le père particulièrement, semble vouloir l'enterrer, sans autre forme de procès. L'oubli immédiat. Aucune discussion, aucun éclaircissement, si bien que le plus jeune, Judd, ne comprendra que plus tard la véritable nature de cet accident. Peut-être est-ce cette fuite devant cette responsabilité terrifiante qu'a un père de s'expliquer avec sa fille "malmenée", peut-être est-ce cette lâcheté devant cette chose qui pourrait anéantir le travail d'une vie ; toujours est-il que cela rongera les Mulvaney et fera taire pour toujours le sifflement joyeux de Corinne Mulvaney.
D'abord familiarisé avec cette famille, le lecteur comprend peu à peu le drame, seulement traduit par petites touches pudiques, et les conséquences désastreuses qu'il implique.  

J'ai été vraiment sensible à chaque personnage, je me suis attachée à chacun d'eux, et plus particulièrement à Marianne et à Judd, le dernier de la famille, au regard plus "extérieur" que les autres sur sa propre famille : 

"-Ton père t'aime mon chéri. Il vous aime tous, tu le sais n'est-ce pas ?
-Je ne sais pas ce que je sais.
On dit que le benjamin d'une famille n'a pas un souvenir très net de lui-même parce qu'il a appris à se reposer sur les souvenirs des autres, qui sont plus âgés et détiennent donc l'autorité. Quand ses souvenirs diffèrent des leurs, il leur accorde peu de valeur. Ce qu'il prend pour sa mémoire serait plutôt un bric-à-brac des souvenirs d'autrui, leurs témoignages entrecroisés sur des événements survenus avant sa naissance, mêlés à des événements survenus après sa naissance, lui compris. Je ne jouais donc pas au malin en disant
Je ne sais pas ce que je sais. C'était la simple vérité.


Son métier actuel de journaliste lui permet aussi d'adopter un regard critique sur ces souvenirs qui ne sont pas forcément les siens.

Marianne, sa vie en "patchwork", est un personnage captivant psychologiquement : le choc moral qu'elle a subi, non seulement par son statut de victime, mais aussi par le rejet de son père et ainsi de sa famille et de ses repères en font une pâle créature, ombre de ce qu'elle a été, en perpétuelle quête de quelque chose qu'elle n'arrive pas à définir clairement : toujours fuyant, toujours si peu sûre d'elle, ce n'est qu'après de longues années d'exil qu'enfin tout sera aplani.

Chauqe personnage, chaque émotion a été finement traité, Joyce Carol Oates est un grand écrivain dont je relirai la prose avec grand plaisir, surtout depuis que je suis attentive à tous ces éloges qui lui sont dédiés dans la bogo.

cartegourmandeWD

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Commentaires
-
@ Theoma : oui, c'est un excellent roman, on vit dedans :)
T
j'en garde un très bon souvenir.
-
@ Nina : Blonde ! Quel pavé !! Il est très tentant en effet... :)
S
J'aime beaucoup cette auteur mais pour l'instant, je me réserve pour Blonde.
-
@ Aline : Oui, exactement, et même d'en savoir plus sur eux... comme des amis :) mais bon...on n'oublie pas qu'ils restent fictifs...oui, l'effet des très bons romans, c'est bien de nous faire hésiter quelques secondes sur leur réalité, le temps de la lecture :D
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