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'Hérissoneries'
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13 octobre 2012

Irlande, nuit froide, Deirdre Madden

Chez elle, c'était un ciel immense ; c'était une terre pauvre, des champs plats bordés d'aubépines et d'aulnes. C'étaient des oiseaux en vol ; c'étaient des colonnes de moucherons s'élevant comme de la fumée par un crépuscule d'été. C'était une eau grise ; c'était un vent fou ; c'était une solide maison de pierre, où le silence était troublant.
Cate rentrait chez elle.

PastedGraphic-1

Il s'agit ici d'un roman d'atmosphère : l'action à proprement parler n'est pas très présente, et les souvenirs occupent la majorité du roman, ce qui d'ailleurs m'a donné quelques pistes pour ma dissertation de philo sur le sujet :P 

Elle avait toujours pensé à son enfance non pas en termes de temps, mais comme à un endroit où elle pourrait toujours revenir, maintenant, c'était fini.

À vrai dire, je ne connaissais pas du tout cet auteur, et je crois n'avoir jamais lu de littérature irlandaise (ce qui n'est pas siiii répréhensible à mon âge je trouve) et même si j'avais conscience de cette lacune à combler, je ne prévoyais pas de faire plus amplement connaissance avec ce pays. D'ailleurs, je l'avais déjà approché, en y allant deux semaines en "one  to one", et j'avais vraiment été séduite par l'ambiance générale et la façon de penser, d'agir des gens. Les paysages semblent emprunts d'une certaine mélancolie qui déteint sur le voyageur, et les anciens champs de pommes de terre, délimités par les petits murets de pierre, les stries qui restent dans la terre, la verdure, les moutons, le ciel chargé, la fraîcheur, tout dépayse la française du sud que je suis !! 
C'est grâce à Nina (le blog de Sharon), que  je me suis plongée dans ce livre, guidée par ses conseils, et j'ai passé un bon moment dans un roman très travaillé sur l'atmosphère. On entre doucement mais sûrement dans Irlande, nuit froide, et on s'y sent bien, tout simplement. Un très bon indicateur : j'avais envie de retourner dans le roman sitôt posé ;) 

Nous somme donc en Irlande du Nord, qui certes se différencie de l'Irlande d'un point de vue politique, mais s'en rapproche au niveau de l'ambiance générale. On entre dans l'intimité d'une famille, composée de la mère Emily, et de ses trois filles, Cate, Helen et Sally, petites dans les souvenirs. Brisées toutes les quatre depuis la mort du père, le traumatisme laisse une fêlure, et coupe par un abîme le passé du présent, irrémédiablement. Sur fond d'attentats, le destin tragique d'une famille soudée et tendre, très humaine et droite. 

Car le rythme de leur vie était aussi prévisible que les saisons. La ronde régulière de la nécessité était interrompue par les fêtes et les cérémonies : Noël, pâques, les anniversaires. Le rayon de leur vie était minuscule, mais il était profond, et pour elles, il était immense. Les limites physiques de leur univers se réduisaient pratiquement à quelques champs et à quelques maisons, mais elles connaissaient ces lieux de manière absolue et inconsciente, comme un oiseau ou un renard connait son habitat. "La maison" était une réalité qu'elles vivaient si complètement qu'elles n'auraient pu la définir. Cependant elles auraient ressenti le caractère inadéquat d'expressions telles que : c'est l'endroit d'où l'on vient, c'est l'endroit où l'on vit, c'est l'endroit où habite votre famille.

Et pourtant, elle savaient que leur vie, si complète en elle même, était décalée par rapport à la société au delà de ces quelques champs et de ces quelques maisons. Elles s'en rendaient compte avec le plus d'acuité au mois de juillet de chaque année, lorsque leurs parents les emmenaient sur la côté d'Antrim pour la journée ; en traversant Ballymena et Broughshane, elles voyaient tous les drapeaux britanniques flottant aux fenêtres, les banderoles rouge-blanc-bleu qui décoraient les rues. Elles pensaient que les arches orangistes enjambant les rues dans les petites villes étaient laides, et inquiétantes aussi, avec leurs symboles étranges : une échelle, un carré, un compas, une étoile à cinq branches. Elles savaient qu'elles n'étaient pas censées comprendre ce que signifiaient ces choses, et aussi, sans qu'on eut besoin de le leur dire, que la devise "Bienvenue à nos Frères !" peinte sur les arches ne concernait pas la famille Quinn.

Tour a tour, nous faisons connaissance avec les quatre femmes, par des points de vue internes successifs. La différence de tempérament, l'écart des générations, le poids du passé sur chacune, se sentent sensiblement. 
Mais ce passé plane et même s'il représente une période plutôt heureuse, il n'en reste pas moins une source d'indéfectible tristesse. Il les enserre et les étouffe, les empêche d'avancer, on le voit surtout devant leur réaction à la nouvelle de Cate. Car cette famille a vécu les Troubles avec une grande intensité : les trois frères, le père et les deux oncles des filles, jouent un rôle dans l'Histoire, et l'assassinat de Charlie le père, est le point culminant des atrocités qui gravitent autour de la famille Quinn.

"Cette nuit-là, Helen, qui avait le sommeil léger, entendit son père passer devant la porte de sa chambre et descendre l'escalier. Elles attendit ce qui lui parut un long moment et, comme il ne remontait toujours pas, elle se glissa hors de son lit et alla le rejoindre sur la pointe des pieds. La maison était encore plongée dans l'obscurité , et elle avança à tâtons dans le vestibule jusqu'à la porte ouverte de la cuisine. Elle apercevait le rougeoiement de sa cigarette a l'autre bout de la pièce mais, même sans cela, elle savait que elle aurait senti sa présence. "Papa", appela-t-elle doucement pour ne pas l'effrayer. Il lui fit signe d'approcher ; elle traversa le dallage de pierre, froid sous ses pieds nus, et, lorsqu'elle l'eut rejoint, il l'entoura de ses bras et l'enlaça étroitement. Sa barbe de trois jours égratignait le visage de Helen, mais cela lui était égal, et elle respira son odeur, mêlée à celle de la fumée de cigarette. "Et si...? fit-il enfin en la serrant plus fort. Et si...?" Mais il ne put terminer sa phrase, et elle s'aperçut qu'il pleurait. Elle comprit en un éclair à quoi il pensait ; et là, dans l'obscurité, ce fut comme si elle l'avait déjà perdu, comme si son corps adoré avait EPA été violemment détruit. Ils s'agrippaient l'un à l'autre comme deux rescapés d'un naufrage, ou d'un incendie ; mais cela ne servait à rien, le désastre avait déjà eu lieu. Dans tout le pays, les gens vivaient le cauchemar qu'elle redoutait plus que tout. Qui était-elle pour croire qu'elle méritait d'être épargnée ? Il la ramena là-haut et la borda dans son lit ; il lui caressa le visage en murmurant qu'il l'aimait ; il lui dit de dormir. Mais elle gagna cette nuit-là un savoir obscur qui ne la quitterait plus."

Le roman débute dans le présent et est constellé de retour en arrière, fragmenté constamment, et rend bien compte de l'évolution de cette famille, profondément bouleversée par la situation politique qui ne cesse de trouer leur bonheur. Ainsi Cate, journaliste et apparemment affranchie de son passé (en apparence uniquement) revient dans sa contrée natale, porteuse d'une nouvelle importante. Mais pourtant là joie qu'elle devrait susciter n'est pas vraiment au rendez vous, et c'est bien à ce moment la qu'on prend pleinement connaissance des liens qui entravent les protagonistes. Plus libérée, Cate n'en est pas moins très fragile et reçoit de plein fouet ce que sa famille tait. J'ai aimé ce personnage, un peu bancale dans ses rapports, en comparaison d'Helen, la droiture incarnée, acharnée au travail, qui justement noie ses sentiments dedans, et de Sally, institutrice, toujours aux cotés de sa mère, apparemment douce et docile. Mais c'est peut-être de Helen que l'on se rapproche le plus, notamment à la fin, une sublime fin en tre parenthèse, qui m'a profondément touchée. Emily, quant à elle, est en proie au mal être depuis sa dispute avec sa propre mère, personnage glacial.

PastedGraphic-1

Vous l'aurez compris, roman d'atmosphère et d'apparence, de souvenirs, de rancune, de troubles, centré sur la famille. Roman passionnant mais un brin étrange et psychologiquement très fort...j'ai du mal à accorder mes sentiments, mais j'ai tout de même était emportée dans ce récit sombre. La fin sublime vraiment le tout, teinte le récit d'une majesté, d'une tendresse, d'une grande honnêteté.

"Encore un effort, vieux cheval, et tu auras de l’herbe" (Proverbe irlandais désignant des promesses qui sont tenues bien trop tard.)

271p, 10/18, titre original : One by one in the darkness (que je préfère largement à la traduction)

Plaisir de lecture : 7,5/10

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ps : la couverture ne donne pas du tout envie de lire le roman selon moi, alors un conseil, cachez la, et plongez ;)
(les illustrations sont mes photos, merci de me demander avant de les copier ;))

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Commentaires
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Un bon conseil :D de cet auteur, on m'a prêté The London Eye Mistery, je ne sais pas si ce sera dans le même style que le tien, c'est plus un roman jeunesse.
S
Je suis soulagée qu'il t'ait plu ! (Si, si, si). Pour moi qui ai lu beaucoup de romans irlandais, celui-ci reste un des plus forts que j'ai lus. Siobhan Dowd est dans ma PAL (une de ses auteurs trop tôt disparues) et je repousse toujours le moment de la lire/
S
très belles photos, et un roman qui me plairait je crois :)
M
Un roman malheureusement plus édité mais que j'ai noté depuis longtemps. J'avais moi aussi adoré découvrir l'Irlande mais c'était il y a au moins 14 ans !
M
Je crois que j'aimerais ce roman. J'aime beaucoup les romans d'atmosphère. De plus, c'est l'Irlande.. :)
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